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La Démocratie aux champs, au jardin, à la ferme

Sous la croûte du comté, la coopération. Un texte de J.F. Blondeau

22 Avril 2016 , Rédigé par Joëlle Zask

Sous la croûte du comté, la coopération

 

En Franche-Comté, on affirme volontiers que c'est ici qu'a été inventé au Moyen-Âge, le principe coopératif, en se fondant sur l'histoire des fruitières de production du fromage de Comté. C'est à la fois vrai et exagéré. Si on suit Alain Mélo, historien du mouvement coopératif dans son livre Fruitières comtoises. De l’association villageoise au système productif localisé, à partir du XIIIe siècle « Dans tout l’occident campagnard, on vit se développer, ces groupements locaux prenant la forme de confréries rurales, d’entraide technique, de communautés de hameau, de village, d’associations diverses ». Pourtant le cas des fruitières mérite un éclairage particulier. Le nom tout d'abord, « fruitière » vient probablement de « fruit » au sens de fructus. Celui-ci dénommait en premier lieu le droit de percevoir et d’utiliser les « revenus » d’un bien dont la propriété appartenait à un autre ; le fruit était donc avant tout un terme juridique qui désignait le bénéfice d’une servitude d’usage. En effet la production du Comté nécessitait beaucoup de lait qui ne pouvait être produit par un seul agriculteur, on groupait donc journellement la production de tous les agriculteurs et chacun recevait à son tour, une meule de fromage à proportion de son apport. Ainsi chacun bénéficiait du travail de tous.1

Souvent cette pratique est justifiée de façon très utilitariste. Compte tenu des conditions climatiques très rudes, notamment en hiver, les éleveurs auraient eu besoin d'un fromage qui puisse se conserver longtemps. La coopération résulterait de cette nécessité. On a du mal à souscrire à cette explication, car ces conditions climatiques auraient aussi bien pu entraîner la production de tommes fermières comme en Savoie. Il semble en effet que c'est la coopération des paysans qui a précédé l'invention du fromage. « La fruitière fut une de ces associations, ou le prolongement de l’une d’entre elle, l’association de voisins. Comme institution proprement économique, elle semble être née d’un désir de bonification de certains usages – le pâturage collectif délégué sur l’ensemble ou sur partie des sols du terroir villageois – ou de valorisation d’espaces marginaux – maigres prairies des sols rocheux aux confins des finages, clairières des forêts récemment défrichées, pâturages d’altitude – espaces qu’elle contribua à structurer et à insérer dans une économie rurale exploitant au plus près les écosystèmes disponibles avec les moyens techniques à sa disposition. »1. Le fromage fut donc la matérialisation symbolique de la coopération et de l'entraide entre voisins…. Un peu à l'image de ce qui se pratiquait dans les églises du Haut-Doubs, où chacun à son tour, les paroissiens apportaient une miche de pain qui à la fin de la messe dominicale était partagée entre tous les catholiques du village, présents ou absents.

La pratique de la fruitière se développa jusqu'à aujourd'hui, mais depuis quelques décennies aussi sous la forme d'entreprises privées non coopératives. Au 19ème siècle elle servit de modèle à au moins deux penseurs franc-comtois : Fourier et ses disciples jurassiens, Wladimir Gagneur, Max Buchon, Victor Considérant, Proudhon qui en agriculture est pour la propriété individuelle et l’établissement de communes rurales ayant pour tâche de distribuer la terre à ceux qui la cultivent et de la réorganiser suivant les buts de coopération et d’utilité sociale.

 

Jean-François Blondeau

20 avril 2016

 

[1] Alain Mélo, op. Cité, p. 47

http://www.savoureux-voyage-comte.com/media.php?v=30

http://www.savoureux-voyage-comte.com/media.php?v=30

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